• Chapitre 3 : En vie, ou pas en vie ?

    Elle s’est posée cette question, une fois le vétérinaire disparu. Avant, Diane savait à quoi s’en tenir quant à cette question. Mais maintenant… Elle n’était plus sûre de rien. Quel état d’un rassemblement d’atome le rend vivant ? Les atomes d’une motte de beurre interagissent à sa fermentation, pourtant rien n’indique qu’il soit en vie. Elle a déjà essayé de lui parler. Le son était étouffé. À peine audible. Incompréhensible. Il parlait, mais comme s’il était incapable de réfléchir à autre chose qu’un seul mot. Des heures durant, elle a écouté cette motte de beurre. “Thé” “Tractopel” “Evisceration”, à part si la pratique d'éviscération de tractopel avec du thé existe, ou encore qu’ils aient une notion très développée des métaphores, ce que disait le beurre à Diane n’avait aucun sens. 

     

    Qu’est-ce qui rend une coccinelle plus vivante qu’une horloge ? Un organisme réfléchit et est vivant, non ? Mais un virus réfléchit-il ? Une moule réfléchit-t-elle, n’ayant pas de système nerveux? 

     

    Diane testa cela. 

     

    « Bonjour, Rhabdovirus. »

    « bonjour. diane. » Répondit le virus de la rage. Il était donc en vie ? 

    « Qui est-ce qui me parle, Rhabdovirus ? »

    « a.r.n. » Il ne bouge pas. Il semble réfléchir. Peiner à prononcer ces mots. 

     

    Ce virus est-il donc vivant, aux yeux de Diane ? Oui. Mais il n’est pas un organisme. Il ne naît pas, il ne survit pas, ne se reproduit pas. Il infecte, il de désagrège. 

     

    « Bonjour, Mytilus Edulis. »

    « Diane. » Dit la Moule. 

    « Tu as un coeur et des branchies, pas de cerveau, ni de système nerveux. Mais as-tu de l’ADN, ma douce petite moule ? »

    « Ouidiane. »

    « Mais comment se code-t-il ? Même en partie ? »

    « Jenesaispasdiane » Diane voit que la petite créature met tous ses efforts dans la communication. Elle en a trop utilisé, son muscle labial lâche et elle coule au fond de l’eau. Disparaissant au passage. 

     

    Les moules sont donc des êtres vivants. 

     

    Mais Diane, qu’est-ce qui t’indique qu’elles sont en vie ? Parce que tu la leur a donnée, certes, mais tu ne sais pas ce que tu leur a donné exactement qui les rend plus en vie que d’autres. Ce qui fait que La Moule était plus en vie que le virus de la rage.

     

    Diane se dit soudain qu’un organisme, c’est ce qui les rend vivants. Elle recherche un organisme qui ne vit pas. Elle le cherche, parmis toutes les créatures qu’elle a créés. Elle cherche une erreur dans ses propres pensées. Comme elle aimerait que le vieux vétérinaire vienne lui prêter main forte. 

     

    01 Di-i-ea-ane-e ? 01  Elle sursaute. C'est un ordinateur qui vient de communiquer avec elle. Elle ne pensait pas ça possible. Une question se pose soudain telle une hirondelle dans son esprit personnifié : est-ce qu’elle ressent des émotions ? Et toi, Diane, ressens-tu les émotions ? Peux-tu les identifier, ou perds-tu tout contrôle. 

     

    Diane se dit qu’elle ressent formation des émotions. Puisqu’elle est une personnification. Et qu’elle sait qu’elle est douce, et qu’elle a déjà eu peur. 

     

    « Comment tu veux que je t’appelle, mon cher outil informatique ? »

    01 I-il m’a-appe-elai-ait Chri-isto-ophe-er 01 Diane remarque qu’il répète toutes les voyelles. Comme s’il parlait un langage codé. 

    « Qui ça “Il” ? »

    01 A-al-a-an.  01

     

    Christopher est une petite voix à l'intérieur même de sa tête. Elle parle, réfléchit, et une mémoire. Diane connaissait le fameux Alan. Ce n’était pas Alan Turing comme dans le film humain dont il lui avait lui-même parlé, mais un autre Alan. Un Alan pas plus mécanophile qu’il venait de Mars, mais qui s’était construit son seul ami : un ordinateur. 

     

    « Christopher, tu as eu mal quand Alan est mort ? »

    01 Ou-oui-i.  01

    Diane sourit, mais elle s’interroge. Car elle n’a pas donné la possibilité de vivre à Christopher. C’est Alan, qui l’a fait. Cela posait des questions une nouvelle fois sur ce qui rendait Christopher plus en vie que le bureau sur lequel il était installé. Ni à quel moment celui-ci a pu être déclaré comme mort, pour que la vie en lui revienne à Diane, une vie différente des autres. Une vie à laquelle elle ne s’attendait pas. 

     

    « Penses-tu être en vie ? »

    01 La-a défi-ini-iti-io-on de-e la-a vie-ie e-est a-asse-ez flou-oue-e, Dia-iane-e 01 

     

    Mais Diane se posa soudain une question. Elle apparut dans sa tête personnifiée comme par magie. Une question latente. Qui devait forcément se poser à un moment ou à un autre. Elle caressa son esprit avec candeur. L'enfant en elle qui ne cesse d'apprendre. 

     

    Diane se demanda soudain, dans une caresse de velour : 

    « Et moi. Est-ce que je pense être en vie ? »

     

    Elle regarda Christopher disparaître petit à petit. Ma question posée sur le bout de ses lèvres. Comme si elle portait ce que les humaines appellent du Gloss. Un nappage fruité, contre la pulpe de ses lèvres. 

     

    De nouveau dans le noir, tapissé de milles et une nuits d'étoiles, elle répéta la question. À haute voix. Le regard perdu dans un nappage dense et futile, puisqu'elle sait la nature de sa personnification. 

     

    « Et moi. Est-ce que je pense être en vie ? »

     

    Mais. La question reste. Nappée d'encore plus d'incertitude. Diane se demande encore une fois. Avec une légère nuance dans la formulation. 

     

    « Qu'est-ce qui pourrait le décrire comme un être vivant. »

     

    Diane réfléchit un instant de plus. Un instant plus long que les autres. Car elle la personnification utilise tous les codes d'une être communicant. Elle apprend. Elle aime. Elle se sent respirer malgré l'absence d'arborisation pulmonaire. Elle ressent dans sa poitrine un objet volumineux qui pompe. Qui pompe. Et re pompe. Un objet qui pompe dans le vide. Qui pompe le vide. Un oxygène personnifié. Des glucides personnifiés. Des érythrocytes personnifiés. Avec leurs cousins, les lymphocytes personnifiés. 

     

    Diane se demande. Se demande dans le silence cosmique, de sa grandeur et de sa petitesse, elle se demande ce qui caractérise ce "elle". Elle se demande ce qu'est qu'un érythrocyte. Combien il mesure. S'il vit. S'il respire. S'il meurt rapidement ou longuement. S'il vit rapidement ou longuement. 

     

    Diane cligne des yeux. Et en un instant, elle se retrouve sur Terre. Dans un organisme inconnu. Peut-être animal, elle ne saurait faire la différence, elle a insufflé la vie partout, et a une faible mémoire. Elle se demande même si elle saurait retourner au commencement. Là où elle, l'espace et le temps sont nés. 

     

    Elle regarde ce petit être incurvé. Elle le salut. Elle s'étonne. Car elle reçoit plein de réponses. Elle entend le fer, qui donne sa couleur rouge à l'être en face d'elle. Elle entend les organites de la cellule. Elle découvre qu'en se concentrant non pas à communiquer, mais à écouter, elle peut entendre bon nombre de choses supplémentaires. 

     

    Diane sourit. Et comme s'il comprenait le courant de sa pensée, l'érythrocyte sourit aussi. Il ne sourit pas physiquement. Mais Diane peut l'entendre sourire. Elle veut découvrir cette cellule rougeoyante, littéralement sanguine. Alors, baignants tout deux dans un plasma protéiné et légèrement pollué par les urées, ils se mirent à communiquer, mais sans parler. 

     

    « Bonjour, je suis Diane ! »

    « Bonjour Diane ! Je suis mitochondrie ! »

    « F.e.r ~ »

    « Ribosome ! »

    « Cytooooplaaaasmeeee »

    « Et nous, on est les Réticulum Endoplasmiques ! »

    « Lui, c'est  Rugueux. Moi, c'est lisse ! »

     

    Ils parlent, tous ces organites. Mais c'est à peine audible. Ils doivent être à peine présents, juste sous forme de trace. 

     

    Le doute de l'origine de cette cellule se confirme : c'est sûrement un oiseau. N'ayant rien de plus à dire, les organites se turent. Laissant Diane partir un peu plus loin dans les niveaux de la vie. Se demandant soudain, si elle pouvait parler à cet atome. Juste là. 

     

    « Bonjour Carbone ! »

     

    Mais elle n'eut aucune réponse. Elle répéta, s'approchant de l'atome. Se forçant à se retrouver à la même taille. Ignorant la sensation de respirer définitivement disparaître, puisqu'elle était devenue plus petite qu'un atome d'oxygène. 

     

    L'atome de Carbone ne répondait toujours pas. Jusqu'à ce qu'elle se rende compte qu'il ne parlait pas. Il écrivait. Il écrivait un signal électrique. Émerveillée, Diane regarda ces signaux venir danser autour d'elle, telle de lumineuses petites lueurs, des étoiles atomiques. 

     

    Diane passe la main devant le signal. La lumière s'estompe autour de ses doigts, et partout autour de sa main, la lumière inonda sa peau sombre et lumineuse à la fois. Diane remarqua que le signal lumineux était l'atome en lui-même, qui était partout, jusqu'à ce qu'elle l'identifie. Elle sourit. Alors qu'une graine vint à germer au fond de son cerveau personnifié. Une graine qui allait vite pousser. Bourgeonner. Magnifiquement fleurir. 

     

    Et si. Elle pouvait communiquer.. avec elle même ?

     

    Arrosant cette idée, Diane plongea au fond de sa propre personnification. 

     

    Dis moi, Diane, à quoi t'attends-tu ? « À rien. » ce n'est pourtant pas ce qu'elle y vit. Elle vit un visage, rond et frais. Un vrai visage humain, à taille humaine. Elle voit l'origine de sa personnification. 

     

    Nos regards se croisèrent. Et nous nous sommes souri comme de vieilles amies. 

     

    Satisfaite, Diane s'en alla à sa propre réalité. Elle avait de moins en moins besoin de parler, pour que sa soif de connaissance soit rassasiée. Elle apprend vite, Diane. 

     

    « Ça va aller ? Tu as l’air tout fébrile. » En 2053, les Humains ont vite appris son existence, au moins partiellement, à force de travailler sur les lois des atomes, et les loies de l’espace et du temps. Ils l’ont d’abord entendu parler. Puis ils lui ont répondu. « Quel est ton nom ? » Diane comprit alors. Qu’elle était face à un être, humain, animal, ou extraterrestre, qui avait réussi l’impensable : communiquer avec elle, en étant toujours en vie. 

     

    Les végétaux y étaient arrivé très tôt. Pas les autres. Ils étaient comme elle au début : trop focalisés sur des résultats. Finalement, leur première communication est partie d’une erreur. Comme beaucoup de trouvailles humaines, qui se sont avérées révolutionnaires. 

     

    Bientôt, ils lui posèrent des questions sur elle. Sur comment communiquer avec d’autres espèces. Puis ils ont entendu leur planète. Et ils ont arrêté de parler à Diane. Elle entendit un jour un scientifique, l’un des derniers jours, se mettre à pleurer. Puis, les jours suivant les mises en communication, plus aucun son n’arrivait à Diane. Je pense qu’ils étaient humains, finalement. Et pas extraterrestres. 

     

    « Hallo ? » Diane répondit à cet appel. « Bonjour ! » La voix était fébrile. Ca faisait plusieurs jours que personne ne lui avait parlé de la sorte, Diane s’en sentit combée. « Dites, Diane. Vous êtes pas responsable des causes à effet. Mais est-ce que vous les comprenez, est-ce que vous les réparez ? » Il y eut un moment de silence. « J’ai déjà essayé. Sans y parvenir. » Elle avait essayé, pour les Mammouths et les Dodos. Mais ses efforts restants vains, elle a abandonné. « Mon père s’est pendu... » Dit la voix au bout du halo de communication. Contre toute attente, et à vrai dire même les siennes, Diane sut quoi répondre : « Quel est son nom ? » Elle ne savait pas alors, qu’elle était la seule à prononcer “il est”, en la présence de cette voix. Cette petite voix quelque part dans l’espace-temps. « Alan Clément. »

     

    « Je le connais. » Elle mentait, elle n’a pas bonne mémoire, Diane. Mais elle visualise sans peine les yeux de la voix au bout de ce fil invisible se mettre à briller. « Je peux te demander quelque chose ? » « Bien sûr. » « Rappelles-toi de lui. Même si tu mentais quand tu disais l’avoir connu. Invente-le. Mais rappelle-toi de lui. »

     

    Diane eut soudain une idée. Une idée à la limite du brillant. Suivre la communication. C’est ainsi, qu’elle arriva devant la fillette, en larmes mais avec un sourire sur les lèvres. Diane sourit à la fillette, qui ne comprit pas, sur le coup. 

     

    « Viens avec moi ! » Dit-t-elle. 

     


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