• Arc 1 - Stop running away !

    Chapitre 1
    *

    Un petit garçon regarde à travers le jours. Maintenant que ses jolis yeux bleus se sont habitués à la pénombre, il peut regarder sans gêne ce que sa maman a à lui offrir : un prénom. Le petit garçon n’apprend en ce jour pas seulement son nom. Il apprend qu’il existe. Il apprend que Maman est Maman. Qu’elle n’est pas reliée à lui. Qu’il est “je” et qu’elle est “Maman”. 

    L’enfant sourit donc à sa maman. Accroupi sur ses petites jambes fatiguées. Sa maman n’a pas de nom. Sa maman, c’est juste Maman. Toujours Maman. Bientôt, le petit apprend que Papa est là aussi. Il est tôt, dans l’histoire. Le petit Allan Clément est un enfant Français qui grandit en pleine seconde guerre mondiale. Avec ses courts cheveux roux raides et ses yeux bleus, il se passionne à toucher les tâches de rousseurs qui parsèment ses joues. Le garçon ne comprend pas encore pourquoi il ne les sent pas sous ses doigts.  

    Peu à peu, ses doigts et ses gestes s’affinent. Mes doigts et mes gestes s’affinent. Papa dit que je ne serai pas bricoleur, que j’ai l’air d’un intellectuel. Maman dit que j’ai des mains de pianiste. Alors je regarde mes mains dans le miroire. Je les aime bien. Mes mains si fines. On dirait celles de ma soeur, Crystal. Mais en encore plus fines. 

    Crystal et moi avons été interpellés, à l’école, aujourd'hui. J’ai dû mettre une étoile de David sur mon veston pour signaler que j’étais juif, Crystal a refusé. Les parents n’avaient vraiment pas l’air contents. Pourtant, quand on est retournés à l’école, Crystal n’avait toujours pas mis son étoile. Mais rien ne lui arriva. À moi non plus. C’est le lendemain, que les choses se gâtèrent. Parce que Papa nous a dénoncés. C’est la chose que je désire comprendre du plus profond de moi. Mais j’ai jamais réussi à comprendre son geste. 

    Maman a été la première à avoir été emmenée. Puis ça a été Crystal. Puis Papa est parti. Il est parti sans moi. Il m’a laissé chez ma tante Éloïse. Ce que je n’ai appris que plus tard, c’est que mon père avait été emmené aussi. Parce qu’il était Gitan. C’est pour me protéger, qu’il m’a placé. Pourtant, j’ai toujours été obsédé par mes origines. Par ma mère. Et par ma soeur. J’ai toujours voulu les revoir. J’en rêve chaque soir. Je rêve de mon père. Nous dénonçant à ces soldats, je le vois même parfois raser leurs têtes et les enfermer dans une douche sordide qu’on nous décrit par bouche à oreille. 

    Crystal est rousse aussi. Mais ils l’ont emmenée, elle. Elle avait 15 ans et moi 8, quand elle a été déportée. Je l’ai mal vécu. Je crois. Je ne m’en rappelle pas trop. Je me rappelle juste de Blanche. Elle m’a vu pleurer, et elle m’a prit dans ses bras. Elle a même pas cherché à comprendre. Elle m’a juste pris dans ses bras. Je ne lui ai jamais dis ce qui n’allait pas. J’ai toujours fuis mon chagrin. J’ai toujours fuis, en fait. Aussi loin que je me souvienne. 

    Mais Blanche, que je m’enfuis, ça ne la dérangeait pas. Je pense qu’au fond, ça l’arrangeait. Car comme ça, elle pouvait fuire aussi. Pourtant. Un jour. On s’est regardés dans les yeux. Et nos lèvres ont été comme attirées les unes aux autres. Sur le coup, nous n’avons pas compris. Nous étions jeunes. Et c’était la veille qu’elle parte pour l’Irlande. J’allais probablement ne jamais la revoir. Alors j’ai pleuré. Je suis quelqu’un de fragile. Alors j’ai beaucoup pleuré. Mais elle pleurait aussi. Ca aurait dû être à moi de la consoler. De lui dire que tout irait bien. Mais je n’en ai rien fais. J’ai juste pleuré un peu plus encore. J’en avais les poumons en flamme. Elle est rentrée chez elle. Elle a attendu mon appel, ma venue, que je la prenne dans mes bras. En vain. J’ai attendu, seul, dans le noir, que le temps passe. Pleurant comme si elle était morte. « Prends soin de toi. » « Sois heureux. » étaient les derniers mots que l’on s’échangâmes. 

    Le fragile petit garçon eut le coeur brisé par l’amour pour la première fois. 

    Devant mes yeux se forment une cascade. Une cascade noire. Non noir comme la nuit, noire comme le plus profond des noirs. Sans étoiles pour illuminer sa toison sombre et ténébreuse. Puis. Dans ce tumulte d’horreure noire, du rouge vient teinter le vide. Un rouge non pas vif, mais suffisamment rouge pour m'éblouir. C’est un rideau face à la réalité. La réalité qui est en train de m’étouffer, de la même manière que ce rouge sur fond noir de terreur m’éblouit.


    Rares se firent mes sourires. Rares se firent mes rires. Rares se firent mes interactions sociales. Invraisemblablement, j’avais sombré tellement profondément dans la dépression que je doutais pouvoir en sortir un jour. Mes mains fines sont devenues squelettiques. Mes côtés et mes pommettes saillaient à travers ma peau. Et ma peau avait perdu en force comme elle avait d’ors et déjà perdu tout éclat et tout élasticité. 

    J’étais efflanqué, ne répondais plus au téléphone ni à ma porte d’entrée ou de chambre, on m’avait perdu. Jusqu’au jour où… Elle revint. Blanche. Elle est revenue. 

    J’aurais dû être l’homme le plus heureux du monde. J’aurais dû vivre en homme heureux quand elle est partie, par ailleurs. Mais au lieu de ça, je n’ai même pas respecté ce que nous nous sommes dits à notre séparation. 

    Nous nous sommes d’abord regardés. Comme elle n’avait pas changé. Toujours aussi belle et gracieuse. C’était toujours la même Blanche. Alors que j’avais pris 40 ans en 10. Je m’en suis voulu. Alors j’ai baissé la tête. Mais elle m’a à nouveau pris dans ses bras. Elle souriait. Elle avait l’air en forme. J’en fus heureux. Mais je ne l’ai pas étreinte en retour. Je me suis toujours demandé pourquoi, pourquoi est-ce que même une fois qu’elle était revenue, je n’allait tout de même pas assez bien pour vivre, tout simplement. 

    « Il n’y a pas un seul matin où je ne me sois levé sans penser à ce que j’aurais dû faire, quand tu es partie. » Dis-je finalement. 

    « Je t’aime Allan. » Je suis fragile. J’ai pleuré. Elle m’a enlacé encore un peu plus fort. 

    Je pense qu’à ses mots, quelque chose s’est à nouveau brisé en moi. Je ne l’ai pas enlacée en retour. J’ai juste pleuré. J’avais peur. Je n’avais pas confiance. Je n’ai plus confiance en elle. J’ai vraiment très peur. Et elle le sait. Elle le sent. Elle le sent à mon coeur qui bat comme s’il allait s’arrêter. Non pas à tout rompre, juste comme s’il allait s’arrêter. J’aurais tellement voulu m’excuser. Lui dire à quel point je l’aime. Mais quelque chose manque. Quelque chose de terrible. Un trou gargantuesque que son retour n’arrive pas à combler. “Attends, tu vas voir, l’amour c’est un grand feu. Ça crépite, ça illumine, ça brille, ça réchauffe, ça pique les yeux. Ça envoie des centaines de lucioles tout là-haut, au firmament. Ça s’allume d’un coup et ça éclaire le monde et la vie différemment.” Qu’ils m’avaient dit. Je n’aurais pas dû leur faire confiance. 

    Je la regarde dans les yeux. J’ai peur. J’ai peur. Mais j’ai peur. J’ai tellement peur. Elle sourit. Mon coeur sursaute. Elle a un beau sourire. Sourire qu’elle pose sur mes lèvres soudain. Je me raidis. Mes larmes se stoppent. Net. Comme si elle avait coupé un fil avec ses dents. Avec son sourire. 

    J’essaie de sourire. Mais je n’y arrive pas. Je plonge dans ma peur. Un flot noir. Il s’accroche à moi, je m’englue dedans, je suis incapable de sortir. Ma peur s'accroît. C’est comme si ses bras, si doux, m’emportaient dans un flot de terreur parfaitement incontrôlable. 


    Nous allons chez moi, elle dit à Rose, sa mère, qu’elle rentrera demain après-midi. Rose me fait un clin d’oeil, avec un sourire chaleureux. Et nous entrons chez moi. Blanche et moi. Seuls chez moi. La terreur me broie les entrailles. La nuit vient. Et je m’enferme dans ma solitude. Dans ma peur. Dans ma détresse. Je la fuis. Je la distance de plus en plus, bien qu’elle me court après pour m’empêcher de rouler comme une balle jusqu’en bas de cette pente. “Je vais arrêter de respirer un instant” Songé-je, dans mes draps, dos à la femme qui partage désormais ma vie. Je ferme les yeux. Alors que ses bras s’enroulent doucement autour de moi pour m’enlacer. Je sens son front dans mon dos. Ses cheveux se mêlant aux draps et à la sueur de ma peur. Elle plonge avec moi dans l’enfer. Elle fuit, mais elle me court après. Je fuis simplement plus vite qu’elle. Elle n’a pas mérité ça. C’est injuste pour elle. Je suis désolée Blanche, désolé d’être comme ça. 

    Un an plus tard, des cloches raisonnent partout dans la vallée de notre village. Un jeune couple vient de se marier. C’est le mien. C’est moi, le marié. Et la mariée, la ravissante mariée est évidement Blanche. Dans sa robe blanche. Avec des fleurs dans les cheveux. Blanches. Blanche d’innocence. Blanche comme la neige. Car elle est blanche comme neige. À force de fuire. 

    Mais je l’aime. 

    Est-ce que je l’aime ? 

    Oui. 

    Alors pourquoi ais-je tant envie de m’enfuir ?

    Pourquoi je me met à pleurer quand elle passe l’alliance à mon doigt ? 

     

    Chapitre 2
    *

    Ma femme me regarde, je n’aime pas ça. 

    Ma femme ouvre la bouche mais la referme. Je n’aime vraiment pas ça. Elle approche. Mon dieu. Quelle horreur. Je sais. Je sais ce qu’elle veut me dire. Non. Nan. Ahahah non. Je m’y refuse. 

    Je recule. Mais Blanche saisit ma main pour me parler. 

    « Non ! » 

    Dis-je soudain. Je ne veux pas qu’elle parle. Je ne veux pas qu’elle le dise. 

    Elle voit dans mes yeux ce qui ne va pas. Elle voit ma détresse. Ma peur. Ma fuite. Elle le sait. Elle pourrait le toucher, tant c’est brûlant, tant l’idée tremble dans chaque parcelle de mon corps. Je le veux ? Oui. Mais non. Je ne veux pas. Je ne peux pas. 

    Blanche met son autre main sur mon visage. Je suis faible. Je pleure. Ses yeux me disent que tout ira bien. Mais ses mains, le test de grossesse dans sa main enlaçant la mienne, me disent le contraire. 

    Je fais tout ce qu’il m’est possible de faire : je m’enfuis. Je lâche les mains de ma femme. Et je me mets à courir. 

    Je suis revenu. Deux ans plus tard. J’avais 29 ans, elle 27. 

    Chapitre 3
    *

    Je regarde ce monde que j’ai passé toute ma vie à fuir. Je regarde ma petite amie. Je regarde ce qu’on s’est fait. Je la regarde dormir dans mes bras. Je trouve que Blanche porte bien son nom. Je la regarde, elle est pâle comme un bouton de rose, blanche. J’effleure le creux d’un de ses yeux d’un geste un peu maladroit, écrasant une larme. Je suis trop loin, je n’arrive pas à avoir de mouvement précis. Je devrais pourtant être plus proche d’elle. Je le sais. Je suis son compagnon, maintenant. 

    Je n’ai le temps que de cligner des yeux qu’une autre larme perle sous les cils de ma douce. Je récupère celle-là aussi. Je l’ai réveillée, cette fois. Je sens sur moi son regard. Je vois non pas un filet qui perle, mais un torrent qui déferle de ses pommettes. Je ne sais pas pourquoi elle pleure. Je me sens impuissant. Je déteste ça. Je pense que je devrai la consoler, la prendre dans mes bras. 

    Je vois qu’elle me regarde. Je sens sur moi, sur mon être, sur ce qu’on s’est fait tout les deux, je sens sa douleur. Je déteste ça. Je sais qu’elle est là. Je sais pourtant pas pour combien de temps. Je pense même que je serai capable de la hair. Je ne sais pas, en fait. Je me sens juste mal. Je me sens même pas mal, en fait. Je ne sens rien du tout. Je veux pas la consoler. Je veux pas qu’elle pleure. Je veux pas qu’elle vienne près de moi. 

     

    « Blanche. Est-ce que tu m’aimes ? »

    « Plus que tout Allan. »

     

    Je ressens sur moi ses yeux. Je pourrai les baisser pour rencontrer les siens. Je ne veux pas faire ça. Je pense que ses yeux pourraient tuer les miens. J'ai mal quand elle me traite de bêta. Je ressens tout son amour pour moi. Je ressens à quel point ça me terrifie plus que je n'ai de sentiments pour elle. Je t'aime, Blanche. Je sais pas si je t’aime, Blanche. Je sais pas si c’est grave, c’est grave, dis ? Je me le suis demandé. Je me suis dis qu’en fait, j’en avais rien à faire. 

    « ... »


    J'ai ouverts la bouche pour parler. Je n'ai pas réussi à sortir le moindre mot. Je me suis juste découverts. J'ai posé sur ses lèvres la pulpe des miennes. Et je me suis dirigé vers la salle de bain. Je redoute d'entendre sa voix. Je ne veux pas répondre "Je pisse, Blanche". Je ne veux pas avoir à prononcer son nom. Ne pas avoir à me justifier pour ce que je fais.

    « Ce n’est pas grave si tu ne me réponds pas ! J’ai assez d’amour pour deux alors je t'attendrais ! » 

    J'aurais pu lui répondre. J'aurais pu la prendre dans mes bras. J'aurais pu empêcher toute cette merde. Je pourrais toujours. Je pourrais si... mais je suis un connard d'égoïste. 

    J'aurais pu la laisser m'entraîner dans ce lit où nous avons consommé notre amour. J'aurais pu. J'aurais pu ne jamais tomber sur cette corde. Je pense qu'elle était là intentionnellement. Je ne sais pas si Blanche l'a déjà vue ? Je ne me le demande pas. 

    Je te demande quelque chose. Allan. Je l'aime. Je l'aime pas ? Je ne sais pas. 

    J'ai regardé mon reflet. 

    Cette question n'a aucun intérêt, dans la vie d'un homme. L'amour d'une femme, je peux le trouver n'importe où. Mais cette obsession me prouve à quel point je l'aime. Cette femme là. Elle. Et rien qu'elle. Pour toujours probablement, puisque j'enroule autour de mon cou la raison pour laquelle il n'y aura pas de lendemain. 

    Je bondis comme un lapin vers les réponses à mes questions. Les réponses à mon égoïsme. Mes pieds cessent d'adhérer au sol, et le violet teinte ma peau. Puis rapidement le bleu. Et enfin le blanc cyanosé. 

    Je me demande pourquoi. C'est pas que j'ai jamais vu les bons côtés d'être en vie. C'est que j'en ai toujours été incapable. Incapable de sourire. Incapable d'aimer raisonnablement. 

    Blanche et moi nous sommes aimés au-delà de toute raison. Ce n'est pas ce qui a causé ma perte, ni ce qui aurait pu l'éviter. C'est ce que je retiens. Un vieux professeur de français, âgé de 30 ans, qui met fin à ses jours à moins d'un mètre de sa fiancée. 

    J’étais faible. Mais je n’ai pas pleuré. 

    Chapitre 4
    *

    Blanche ? Tu te rappelles quand j'ai fuis, l'autre jour ? Cet enfant, tu l'as perdu. Hein ? Je ne suis pas si irresponsable que ça ? Hein Blanche ? 

    Parce que moi.. je l'avais complètement oublié, ce petit qui grandit en toi.


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